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Réaliser ce qu'est un livre d'art...

De la gravure au livre d’art

Il y a la gravure, et il y a le livre d’art. Ce sont deux ordres de grandeur distincts.

A partir du moment où Dutrou m’a dit : « Celle-là elle me plaît, tu me la donnes ! », j’ai osé envisager le livre. Dans mon trajet, il représente l’ultime moyen d’expression.

La gravure est l’essence du livre d’art. Il y a un lien évident avec le texte, mais on ne peut pas faire un livre d’art sans gravure ni typographie. Le typographe compose une page avec des caractères en plomb. Depuis Gutenberg. Des machines l’ont remplacé, bien sûr. Depuis le XIXesiècle, le traitement de texte, la photocomposition et aujourd'hui l'ordinateur. Mais cela n’a  vraiment rien à voir avec la composition à la main. Il existe des beaux livres, mais le livre d’art, c’est la noblesse du mariage du plomb et d’une gravure. Cela ne s’apprend que dans la patience et l'humilité.

Ce n’est pas un besoin qui pousse à faire un livre d’art : le « marché » n’est pas si porteur… C’est une nécessité autre. Pour une peinture ou une sculpture, c’est normal d’être unique ; pour un livre, non. Or un livre d’art est unique : plusieurs exemplaires, et aucun d’identique. Un livre d’art dans les mains, l’émotion n’est comparable à nulle autre.

La noblesse ultime du livre d’art

D’où un grand respect de toute la matière qui entre dans la confection d’un tel objet. Ainsi, généralement, les pages sont toutes faites au format : un côté est rogné, sabré avec un lourd couteau ou à la main — car jamais une lame tranchante ne touche le papier d’un livre d’art.

Faire un livre d’art procure de profondes satisfactions, plus encore que de peindre un tableau. Cela m’apparaît comme la quintessence de l’expression : il n’y a pas d’au-delà du livre. Tous les langages s’y peuvent fondre, et c’est un travail d’équipe. Je suis heureux de coopérer avec un imprimeur, un typographe, un tailledoucier  — la taille douce, cet art qui permet d’avoir des couleurs profondes… Tout ce que je décris, cela reste sans vie si, à travers ces gestes, on n’imagine pas un métier. Montrer le métier, c’est pour un aîné consacrer un apprenti, c’est ce qui ne peut s’apprendre hors de l’école ; le métier est le résultat d’une transmission et d’une réception.

Mais il ne s’agit pas seulement d’une transmission de techniques et de coups de main, forcément nécessaires, mais pas suffisants : tant que tu n’auras pas été légitimé par quelqu’un, comment revendiquer l’autorité d’un métier ? Je ne sais pas dire autrement la chose, et pourtant dieu sait que toute ma vie d’enseignant, j’ai lutté contre la soumission de l’élève au « maître » : c’est qu’on n’apprend pas les mêmes choses dans une classe. Dans une classe, les enfants et les adolescents grandissent ; dans l’atelier, on est là pour apprendre un artisanat, un coup de main, un savoir faire et, plus encore, l’amour du travail bien fait. Depuis le XIXesiècle, les métiers ont beaucoup perdu — ce n’est pas pour rien que Marx est arrivé à l’époque où le petit artisanat était irrémédiablement écrasé par la machine.

Jacques Caux

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