Ignorer les liens de navigationAccueilGravuresL’ascèse artisane et la patiente techniqueUne progression vers quelque potable chose

Une progression vers quelque potable chose

Une gravure, cela se reprend bien des fois.

Le dessin ébauché, arrive l’étape de la morsure. On met la plaque dans un bain d’acide, en général du perchlorure de fer car il s’agit d’un acide lent : au fil des minutes ou des demi-heures, on peut doser l’attaque et varier les essais. Plus la plaque est laissée dans l’acide, plus la morsure sera forte et profonde. Il faut bien deux heures de morsure, en plusieurs étapes, pour avoir un « noir » — pas forcément de la couleur noire, mais une surface qui offrira, une fois ancrée, une couleur pleine, plate et forte : au tirage, on verra alors apparaître un vrai coup de pinceau. Pour obtenir tous les dégradés de gris, on reprend la plaque après chaque bain, on la nettoie et on recommence : nettoyer, revernir, redessiner… Chaque morsure se surajoute à la précédente : la plaque, c’est une mémoire du geste, c’est ce qui en fait la beauté et la profondeur. Une gravure ne se fait jamais en une seule fois. Au bout de cette étape, toutes les nuances du dessin sont inscrites dans le métal… et donc on nettoie tout, pour changer !

Vient ensuite l'impression. On encre, à la poupée, et la gravure apparaît par étapes. C’est ce que l’on appelle des « états ». On les voit souvent dans les livres : les traces ont un statut de mémoire du processus. Certains artistes font bien dix états. Je n’en ai jamais fait autant : c’est un travail très fastidieux, on respire des saloperies liées au support, l’acier, le cuivre… Robert Dutrou est mort d’une leucémie professionnelle.

On utilise des matériaux bruts et sales, minéraux, et on doit sortir quelque chose de propre. Des acides, des bitumes, des produits toxiques, des solvants, acétone, alcool, trichloréthylène… et, au bout du compte, toute la sensualité de la gravure.

Jacques Caux

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jacques.caux@schemart.com